Le contrôle du respect du principe de prévention dans les déclarations d’utilité publique de projets portant atteinte à l’environnement
Le contrôle du respect du principe de prévention dans les déclarations d’utilité publique de projets portant atteinte à l’environnement
Un arrêt du Conseil d’Etat du 9 juillet 2018 (n° 410917, Commune de Villiers-le-Bâcle et autres, mentionné dans les tables du recueil Lebon), concernant l’utilité publique d’un tronçon du métro automatique prévu dans le cadre du Grand Paris, a été l’occasion de rappeler les modalités de respect du principe de prévention et des dispositions relatives à l’évitement, à la réduction et à la compensation (ERC) des effets négatifs notables d’un projet sur l’environnement ou sur la santé publique.
La genèse de la séquence ERC a été la suivante :
Elle a été introduite une 1ère fois en droit français par la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature.
Le principe de prévention a également été pris en compte de longue date par la jurisprudence au titre du contrôle des atteintes à l’environnement de projets déclarés d’utilité publique.
Le principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable, a ensuite été consacré par l’article 1er de la loi dite Barnier n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement.
Le principe a également été inscrit à l’article 3 de la Charte de l’environnement (loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005) : Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.
Il est désormais énoncé en détail par l’article L. 110-1 II. 2° du code de l’environnement, dont la rédaction est la suivante depuis la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages : 2° Le principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; Ce principe doit viser un objectif d’absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité.
La mise en œuvre du principe de prévention :
L’application de ce principe par le maître d’ouvrage est vérifiée au travers de l’étude d’impact qui doit notamment indiquer les mesures ERC envisagées et l’estimation des dépenses correspondantes (article R. 122-5 II. 8° et 9° du code de l’environnement), ces mesures devant être ensuite reprises dans la déclaration d’utilité publique :
. Article L. 122-2 du code de l’expropriation : Dans les cas où les atteintes à l’environnement ou au patrimoine culturel que risque de provoquer un projet de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements le justifient, la déclaration d’utilité publique comporte, le cas échéant, les mesures prévues au I de l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement.
. Article L. 122-1-1 I. du code de l’environnement :
I.-L’autorité compétente pour autoriser un projet soumis à évaluation environnementale prend en considération l’étude d’impact, l’avis des autorités mentionnées au V de l’article L. 122-1 ainsi que le résultat de la consultation du public et, le cas échéant, des consultations transfrontières.
La décision de l’autorité compétente est motivée au regard des incidences notables du projet sur l’environnement. Elle précise les prescriptions que devra respecter le maître d’ouvrage ainsi que les mesures et caractéristiques du projet destinées à éviter les incidences négatives notables, réduire celles qui ne peuvent être évitées et compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites. Elle précise également les modalités du suivi des incidences du projet sur l’environnement ou la santé humaine.
Si les atteintes à la biodiversité du projet soumis à déclaration d’utilité publique ne peuvent être évitées ou réduites, ou ne peuvent l’être qu’insuffisamment, des mesures exceptionnelles et subsidiaires de compensation écologique doivent être décrites et proposées, telles que la reconstruction des milieux ou la protection des espèces, portant sur les atteintes résiduelles.
La difficulté réside dans la définition précise des mesures ERC appropriées et suffisantes au stade de l’étude d’impact et de l’enquête publique préalable à la DUP, dès lors d’une part que le dossier d’enquête doit comporter seulement le plan général des travaux et les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants selon l’article R. 112-4 du code de l’expropriation, et que lesdites mesures ERC d’autre part ne pourront être précisées ou complétées qu’à l’occasion de la délivrance d’autres autorisations que ladite DUP, telles par exemple que celles requises au titre de la loi sur l’eau (articles L. 214-1 et suivants du code de l’environnement), si le projet y est soumis.
L’estimation des dépenses correspondantes aux mesures ERC exigée par l’article R. 122-5 II. 8° du code de l’environnement peut ainsi être également délicate à établir au regard de l’état d’avancement du projet au stade de la DUP.
Eu égard à ces deux difficultés, ce que la jurisprudence et l’arrêt du Conseil d’Etat du 9 juillet 2018 exigent au stade de la DUP est un exposé et une justification dans les grandes lignes des mesures ERC, le contrôle s’opérant sur la conception d’ensemble du projet (le considérant n° 34 in fine de l’arrêt du 9 juillet 2018 rappelant que les mesures ERC prévues pourront être précisées et complétées à l’occasion de l’examen des demandes d’autorisation au titre de la législation environnementale).
Il reste néanmoins que le maître d’ouvrage doit examiner et respecter le principe de prévention, au stade de l’étude d’impact et de la DUP, au regard de l’ensemble des éléments dont il dispose, ou des éléments dont il est censé disposer, en fonction de l’état d’avancement du projet.
Les étapes du contrôle juridictionnel de la légalité de l’utilité publique d’un projet :
Au final, au-delà des questions de légalité externe (compétence, procédure et forme, dont le contenu adapté et suffisant de l’étude d’impact), le contrôle de la légalité interne de l’utilité publique d’un projet s’articule selon les étapes suivantes :
- Le contrôle du principe de prévention,
- Le contrôle du principe de précaution (plus rarement en jeu) :
Article L. 110-1 II. 1° du code de l’environnement : Le principe de précaution, selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable.
- Et l’examen du bilan coûts / avantages, dont le principe est le suivant : une opération ne peut être légalement déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients d’ordre social, la mise en cause de la protection et de la valorisation de l’environnement, et l’atteinte éventuelle à d’autres intérêts publics qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente.
L’un des apports de l’arrêt du Conseil d’Etat du 9 juillet 2018 est de rappeler que le contrôle du respect du principe de prévention s’effectue préalablement à l’examen du bilan coûts / avantages, et indépendamment de celui-ci, alors que ce bilan comporte déjà un volet protection de l’environnement.