Lettre du cabinet – Février 2021
La fin des marchés de prestations de services juridiques par la loi « ASAP »
Dans un arrêt du 6 juin 2019 (P.M., et al. c/ Ministernaad, aff. C-264-18), la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que les marchés publics de représentation devant les juridictions devaient être exclus du champ d’application de la directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics.
La Cour se justifiait en indiquant que la relation entre un acheteur public et son avocat était obligatoirement fondée sur une relation intuitu personae et une totale confidentialité.
Or, ces fondements ne pouvant être garantis que par le libre choix de l’avocat, la Cour a estimé que l’obligation qui pesait sur tout acheteur public de définir publiquement ses besoins et les critères de sélection des offres était contraire à la confidentialité de la relation entre l’avocat et son client.
Cet arrêt a fait réagir le législateur français lequel, dans la loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi « ASAP » a intégré, dans un titre intitulé « suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français », un article 140 modifiant l’article L .2512-5 du code de la commande publique (CCP).
Cette disposition conduit à dispenser de publicité et de mise en concurrence préalable les services juridiques de représentation en justice et les services de consultation juridique fournis par un avocat en vue d’une procédure contentieuse ou lorsqu’il existe des signes tangibles et de fortes probabilités que la question sur laquelle porte la consultation fera l’objet d’une telle procédure.
En effet, l’article 140 de la loi inclut les services juridiques précités dans la catégorie des « Autres marchés publics » du code de la commande publique, correspondant aux « marchés publics exclus » de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et regroupant des marchés hétérogènes qui, en vertu de l’article L. 2500-1 du CCP, ont notamment pour point commun d’être uniquement soumis à un certain nombre de règles définies par le code de la commande publique telles que :
– La loi MOP art. (L. 2500-2 CCP),
– Les règles relatives aux délais de paiement art. (L. 2521-1 CCP),
– La loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance (L. 2521-2 CCP),
– Les dispositions relatives au pouvoir de résiliation (art. L. 2521-3 CCP),
– La quasi-intégralité de celles concernant le règlement amiable des différends (L. 2521-4 CCP),
– Les règles relatives à la facturation électronique (L. 2521-5 CCP).
Les Acheteurs publics ne sont donc plus tenus d’organiser une procédure de mise en concurrence préalable pour choisir un avocat dès lors que les prestations de services juridiques en cause (celles mentionnés au d) et e) du 8° de l’article L. 2512-5 CCP) ne sont pas soumises aux règles de passation.
Cette conclusion ne coulant pas non plus de source à la simple lecture du code, la Direction des Affaires Juridiques de l’Etat (DAJ) a produit une fiche intitulée « Présentation du code de la commande publique » dans laquelle elle confirmait que ces « autres marchés » ne sont pas soumis aux règles de passation.
Toutefois, la DAJ y précise :
« S’agissant des règles de passation, le Conseil d’Etat, lors de l’examen du code de la commande publique, a tenu à souligner la nécessité d’appeler l’attention des acteurs de la commande publique sur le fait que, conformément à la jurisprudence, les principes fondamentaux peuvent trouver à s’appliquer, selon des modalités qu’il leur appartient de définir, à la passation de certains de ces contrats » alors même que le code ne fixe aucune règle précise, en ce qui concerne leur passation (point 2.5. de la fiche – page 7)
Ces principes fondamentaux sont ceux rappelés dans l’article L3 du code de la commande publique :
– Égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique,
– Liberté d’accès et de transparence des procédures.
Concrètement, certains prônent en conséquence que l’acheteur public effectue, avant qu’il ne choisisse un avocat, les mêmes démarches que pour les marchés publics dont le montant est inférieur aux seuils d’application des règles de passation, en sollicitant au moins trois devis de différents cabinets d’avocats, sachant que ce procédé reste en réalité artificiel.