Lettre du cabinet – Août 2021
Récentes illustrations du droit climatique
Par ses décisions Les amis de la Terre (1) du 4 août 2021 et Commune de Grande-Synthe II (2) du 1er juillet 2021, le Conseil d’État a offert deux illustrations de la mise en œuvre du droit climatique à l’égard de la politique climatique française (3) .
L’arrêt Commune de Grande-Synthe II fait suite à la requête de la commune littorale de Grande-Synthe, fortement exposée aux phénomènes météorologiques et géologiques induits par le réchauffement climatique, contestant le refus du Gouvernement opposé à sa demande tendant à ce que soient prises toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (GES) produites sur le territoire national..
Par un premier arrêt Commune de Grande-Synthe I (4) du 19 novembre 2020, le Conseil d’État avait relevé les insuffisances des politiques menées pour atteindre les objectifs d’émission de GES fixés au niveau mondial, au niveau européen et au niveau national. Il était relevé que la France, qui s’était engagée à réduire ses émissions de 40 % d’ici à 2030 par l’adoption de quatre budgets carbone dégressifs, avait, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d’émissions qu’elle s’était fixés et qu’elle avait revu à la baisse l’objectif de réduction des émissions de GES de son 2ème budget carbone (2019-2023), impliquant « un décalage de la trajectoire de réduction des émissions qui conduit à reporter l’essentiel de l’effort après 2020, selon une trajectoire qui n’a jamais été atteinte jusqu’ici ». Ne disposant pas de suffisant d’élément pour établir la régularité du refus du Gouvernement opposé à la Commune de Grande-Synthe, le Conseil d’État avait ordonné un supplément d’instruction, invitant le Gouvernement à justifier que son refus de prendre des mesures complémentaires était compatible avec le respect de la trajectoire de réduction des GES.
Le 1er juillet 2021, constatant que le respect de la trajectoire de réduction des GES n’était pas atteignable à l’horizon 2030 si de nouvelles mesures n’étaient pas adoptées rapidement, le Conseil d’État a annulé le refus opposé à la Commune de Grande-Synthe et a enjoint au Gouvernement de prendre, avant le 31 mars 2022, des mesures supplémentaires et nécessaires relatives à la réduction des émissions de GES de 40 % d’ici 2030.
Pour assoir sa décision, le Conseil d’État a tenu compte des données du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) et de l’avis du Haut conseil pour le climat (HCC) en relevant par ailleurs que l’objectif de réduction des émissions à l’échelle de l’Union européenne à l’horizon 2030 devrait être prochainement relevé de 40 % à 55 % et que les mesures prévues par le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ne permettaient pas d’atteindre les objectifs de diminution des émissions de GES fixés pour 2030.
L’« Affaire du siècle » illustre aussi la manière dont le Conseil d’État a retenu la carence de l’État au regard de son incapacité à respecter les objectifs qu’il s’est fixés s’agissant de l’amélioration de la qualité de l’air dans plusieurs zones du territoire national.
En 2017 (5), constatant un dépassement chronique des valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote fixées par la directive 2008/50 (CE) du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe et transposées dans le Code de l’environnement, le Conseil d’État avait enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre des plans relatifs à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs attendues.
En juillet 2020 (6), le Conseil d’État relevait que les valeurs limites étaient toujours dépassées et que les plans de protection de l’atmosphère étaient toujours insuffisants. Le Conseil d’État a alors a ordonné à l’État de justifier, dans un délai de 6 mois, des mesures prises pour respecter les valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote, sous peine d’astreinte fixée à 10 millions d’euros par semestre de retard.
Par sa décision Les amis de la Terre (7) du 4 août 2021, le Conseil d’État a finalement condamné l’Etat à payer l’astreinte de 10 millions d’euros pour le premier semestre de l’année 2021 dès lors que les valeurs limites n’étaient toujours pas respectées et que les justifications apportées par le Gouvernement ne permettaient pas de démontrer un respect de ces valeurs limites dans des délais acceptables compte tenu de l’importance et de l’urgence de la situation.
Les injonctions et astreintes mises en œuvre par le Conseil d’État témoignent de l’importance que le Gouvernement se doit d’accorder au respect des objectifs environnementaux issus des engagements internationaux de la France, alors même que le dernier rapport du Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié le 9 août 2021, souligne les risques associés au non-respect de l’objectif issu de l’accord de Paris de 2015 de limiter d’ici 2100 le réchauffement climatique à un niveau de 2°C par rapport au niveau préindustriel.
Le droit climatique revêt indéniablement une dimension politique, comme tend à le souligner le calendrier fixé par le Conseil d’État. Les rendez-vous procéduraux fixés au 1er semestre 2022 (31 mars 2022 pour la justification des mesures relatives à la réduction des émissions de GES, début 2022 pour la justification des mesures relatives l’amélioration de la qualité de l’air et la liquidation de l’astreinte pour le second semestre 2021) devraient s’intercaler avec les échéances de l’élection présidentielle dont les deux tours sont fixés les 10 et 24 avril 2022.
(1) CE, 4 août 2021, Les Amis de la Terre, n°428409.
(2) CE, 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe II, n° 427301.
(3) Voir les conclusions de M. Stéphane Hoynck, Rapporteur public sur CE, 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe II, n° 427301.
(4) CE, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe I, n° 427301.
(5) CE, 12 juillet 2017, Les Amis de la Terre, n° 394254.
(6) CE, 10 juillet 2020, Les Amis de la Terre, n° 428409.
(7) CE, 4 août 2021, Les Amis de la Terre, n°428409.