LETTRE DU CABINET – Avril 2015
Chronique de jurisprudence administrative
- CE 8 avril 2015, n° 365804
En matière de déclaration préalable, une demande de pièces complémentaires par l’administration
faisant naître une décision tacite d’opposition en l’absence de production des pièces demandées
constitue une décision faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir.
Toutefois, l’annulation d’une telle demande de pièces complémentaires ne fait pas disparaître la
décision tacite d’opposition. Elle ne rend pas non plus le pétitionnaire titulaire d’une décision implicite
de non-opposition, mais lui permet en revanche de confirmer sa demande auprès de l’autorité
compétente sans avoir à reprendre l’ensemble des formalités exigées lors de l’instruction de la demande
initiale.
L’autorité compétente dispose alors d’un délai d’un mois à compter de cette confirmation pour se
prononcer sur la demande et, le cas échéant, retirer la décision tacite d’opposition. A défaut de
notification d’une décision expresse dans ce délai, le silence gardé par l’autorité compétente donnera
naissance à une décision de non-opposition à la déclaration préalable valant retrait de la décision
implicite d’opposition.
- CE 8 avril 2015, Commune de Levallois-Perret, n° 37022
Une personne publique peut procéder à la régularisation d’un acte détachable de la passation
d’un contrat, lorsque cet acte a été annulé notamment pour vice de forme ou de procédure
affectant seulement les modalités selon lesquelles la personne publique a donné son
consentement. Elle peut ainsi adopter un nouvel acte d’approbation avec effet rétroactif,
dépourvu du vice ayant entaché l’acte annulé.
En l’espèce, une délibération du conseil municipal autorisant le maire à céder un immeuble faisant
partie du domaine privé de la commune a été annulée au motif que l’avis du service des domaines
n’avait pas été régulièrement transmis aux conseillers municipaux avant la délibération. Par une
nouvelle délibération à laquelle avait été communiqué l’avis du service des domaines, le conseil
municipal a de nouveau autorisé la vente. Cette dernière a également été annulée au motif qu’un
nouvel avis aurait dû être sollicité du service des domaines.
La Haute juridiction retient alors « qu’en jugeant que la délibération du 30 juin 2008, dont l’objet était
de régulariser, non la décision du maire de signer le contrat le 28 décembre 2006 mais la délibération
du 24 mars 2003, adoptée sans que cet avis ait été régulièrement transmis aux membres du conseil
municipal, était illégale en l’absence d’un nouvel avis du service des domaines portant sur la vente à
la date à laquelle elle a été conclue, alors qu’ils avaient délibéré à nouveau en 2008 en disposant de
l’avis du service des domaines en vigueur à la date de la première délibération, la cour a commis une
erreur de droit. » Elle ajoute que « la circonstance que les prix immobiliers auraient fortement
augmenté dans la commune de Levallois-Perret entre 2002 et 2008 est sans incidence sur la légalité
de la délibération attaquée qui, ainsi qu’il a été dit, n’avait pas d’autre objet, ni d’autre effet, que de
régulariser rétroactivement la délibération du 24 mars 2003. »
- CE 8 avril 2015, Ministre de l’égalité des territoires et du logement, n° 367167
L’acquéreur d’une parcelle peut engager la responsabilité de la commune et de l’Etat sur le
fondement de la modification illégale d’un POS en méconnaissance des dispositions de la loi
Littoral.
En l’espèce, une société avait obtenu un permis de construire sur deux terrains classés en zone
constructible par le plan d’occupation des sols de la commune. Ce permis a toutefois été annulé pour
avoir été accordé en méconnaissance de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme (loi Littoral).
Condamnant la Commune et l’Etat à verser au pétitionnaire une somme de 55.780 euros, l’arrêt retient
que « la société avait, lors de l’acquisition des parcelles, une assurance suffisante, donnée par la
commune et par l’Etat, de leur constructibilité tant au regard du plan d’occupation des sols que de
l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme et que le préjudice résultant pour la société de la différence
entre le prix d’acquisition des terrains et leur valeur réelle trouvait son origine directe non dans les
actes de cession de ces terrains, mais dans la modification illégale du plan d’occupation des sols de
la commune ; qu’en retenant ainsi l’existence d’un lien de causalité directe entre les illégalités
commises par l’administration et le préjudice subi par la société, […] la cour administrative d’appel
de Nantes a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. »
- CE 10 avril 2015, Société Automatismes Corses, n° 387128
Dans le cadre d’un marché public, il est de jurisprudence constante que « lorsque le pouvoir
adjudicateur décide de limiter le nombre des candidats admis à présenter une offre, il lui appartient
d’assurer l’information appropriée des candidats sur les critères de sélection de ces candidatures dès
l’engagement de la procédure d’attribution du marché […] ; que cette information appropriée suppose
que le pouvoir adjudicateur indique aussi les documents ou renseignements au vu desquels il entend
opérer la sélection des candidatures ; que, par ailleurs, si le pouvoir adjudicateur entend fixer des
niveaux minimaux de capacité, ces derniers doivent aussi être portés à la connaissance des candidats
; que cette information appropriée des candidats n’implique en revanche pas que le pouvoir
adjudicateur indique les conditions de mise en oeuvre des critères de sélection des candidatures. »
(CE 24 février 2010, Communauté des communes de l’Enclave des Papes, n° 333569)
Toutefois, dans cet arrêt, le Conseil d’Etat est venu ajouter que l’indication des conditions de mise
en oeuvre de ces critères devenait obligatoire « dans l’hypothèse où ces conditions, si elles avaient
été initialement connues, auraient été de nature à susciter d’autres candidatures ou à retenir
d’autres candidats. »
En l’espèce, les juges ont estimés que « la chambre de commerce n’était pas tenue d’indiquer aux
candidats les conditions de mise en oeuvre de ces critères, consistant en leur pondération, dès lors
qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’indication de cette pondération équilibrée des quatre critères
relatifs à la capacité économique et financière, aux références, aux moyens en personnel et aux
moyens techniques, si elle avait été connue lors de la préparation des candidatures, aurait été
susceptible d’influencer cette préparation. »
- CE 8 avril 2015, n° 376821
En matière de préemption d’espaces naturels sensibles, les décisions de préemption doivent être
justifiées à la fois par la protection des espaces naturels sensibles et par l’ouverture ultérieure de ces
espaces au public, sous réserve que la fragilité du milieu naturel ou des impératifs de sécurité n’y
fassent pas obstacle.
Par cet arrêt, la Haute juridiction entend toutefois limiter cette exigence, estimant que « la collectivité
titulaire du droit de préemption n’a pas à justifier de la réalité d’un projet d’aménagement à la date
à laquelle elle exerce ce droit. »
Ainsi, le droit de préemption d’espaces naturels sensibles se distingue du droit de préemption
urbain, pour l’exercice duquel il faut nécessairement justifier de la réalité d’un projet d’aménagement, quand bien même ses caractéristiques précises ne seraient pas définies.