LETTRE DU CABINET – AOÛT 2017
De la prise en compte du principe de solidarité écologique par le pouvoir règlementaire ?
Depuis la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le principe de solidarité écologique figure au sixième rang des principes généraux du droit de l’environnement.
Codifié à l’article L.110-1 du code de l’environnement, le principe de solidarité écologique « appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement des territoires concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés ».
Avant cette codification, la mention expresse de la « solidarité écologique » était limitée aux dispositions issues de la réforme des Parcs nationaux[1]. Cependant, plusieurs concepts développés en droit international et européen contenaient déjà, sans le nommer, les soubassements du principe français de solidarité écologique[2].
Ces concepts ont par la suite intégrés le droit national, empruntant le vocable de « réservoir de biodiversité » et de « continuité écologique »[3], dont l’importance est soulignée par la création des trames vertes et bleues qui « ont pour objectif d’enrayer la perte de biodiversité en participant à la préservation, à la gestion et à la remise en bon état des milieux nécessaires aux continuités écologiques, tout en prenant en compte les activités humaines (…) »[4].
Par ailleurs, pour parvenir à la conciliation des usages de la nature, de la conservation de la biodiversité et du développement des activités anthropiques, les outils d’évaluation des incidences sur l’environnement des plans, programmes et projets imposent, depuis plusieurs années déjà[5], l’appréciation des incidences des plans, programmes ou projets sur divers facteurs[6] ainsi que sur l’interaction entre ces différents facteurs[7].
Ainsi, le principe de solidarité écologique irrigue depuis de nombreuses années le droit interne sans toutefois s’annoncer sous cette appellation.
Un projet de décret tendant à redéfinir la notion d’obstacle à la continuité écologique[8] souligne, d’une certaine manière, les efforts de prise en compte du principe de solidarité par le pouvoir règlementaire sans que l’invocation du principe ne soit toutefois explicite, l’enjeu premier étant ailleurs.
Pour comprendre la genèse de ce projet de décret, il est nécessaire d’évoquer la position du Conseil d’Etat qui, à deux reprises[9], a partiellement censuré des circulaires du ministre de l’Ecologie incitant les services de l’Etat à interdire, par principe, la réalisation de tout nouvel équipement sur certains cours d’eau classés en ce qu’il ferait, par nature, obstacle à la continuité écologique.
Certes, l’intérêt du projet de décret réside dans les précisions apportées sur les niveaux d’effet d’obstacle à la continuité écologique, sur les types d’ouvrages ne pouvant être autorisés sur les cours d’eau classés s’ils constituent un obstacle ainsi que sur les critères d’appréciation d’un débit minimum biologique assurant la vie.
L’on peut également relever que le projet de décret prend le soin d’exclure expressément des interdictions formulées à l’endroit des ouvrages constituant un obstacle à la continuité écologique, les ouvrages destinés à prévenir les inondations et les submersions en l’absence d’alternative permettant d’éviter l’interruption de la continuité écologique.
Cette exclusion peut témoigner de la prise en compte de l’interaction entre milieux naturels et milieux aménagés dans l’épure du principe de solidarité écologique, privilégiant en l’occurrence la protection des personnes et des biens à la protection de l’écosystème, l’absence d’alternative à l’atteinte à la continuité écologique devant, au demeurant, être compensées en application du principe d’action préventive et de correction des atteintes à l’environnement[10].
[1] Art. L.331-1 C. Env. résultant de la Loi n°2006-436 du 14 avril 2006.
[2] Notamment : Convention de Ramsar relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau 1971 ; Convention sur la protection des Alpes ou Convention Alpine 1991 ; Convention sur la diversité biologique adoptée en 1992 à l’occasion du Sommet de Rio ; Protocole relatif aux aires spécialement protégées et à la diversité biologique en Méditerranée adopté le 10 juin 1985), Directive n°79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ; Directive n°92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitants naturels ainsi que de la flore sauvages ; Directive n°2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages.
[3] Art. L.214-17 C. Env.
[4] Art. L.371-1 C. Env. créé par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (dite « Grenelle II »).
[5] Décret n° 2011-2019 du 29 décembre 2011 portant réforme des études d’impact des projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements
[6] Population, santé humaine, biodiversité, terres, sol, eau, air, climat, biens matériels, patrimoine culturel, paysage…
[7] Art. L.122-3, 2° C. Env.
[8] Projet de décret portant diverses modifications des dispositions du code de l’environnement relatives à la notion d’obstacle à la continuité écologique et au débit à laisser à l’aval des ouvrages en rivière.
[9] CE, 14 nov. 2012, n° 345165, Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, n° 345165 ; CE, 11 décembre 2015, Association France Energie Planète, n°367116.
[10] L.110-1 , II, 2° C. Env.