Empreinte numérique et libertés fondamentales
Le confinement et la limitation des interactions physiques ont eu comme corollaire un accroissement sensible des interactions numériques.
L’augmentation du trafic internet, de l’ordre de 30 % en France, et de l’utilisation des outils numériques (télétravail, réseaux sociaux, plateformes de vidéo en streaming, etc.) ainsi que les mesures adoptées pour faire face à l’urgence sanitaire invitent à s’interroger sur la conciliation de l’empreinte numérique avec le droit au respect de la vie privée et le droit au respect des données à caractère personnel.
À ce titre, il est possible de distinguer le traçage numérique selon qu’il est volontaire ou involontaire.
Le contrôle, par le Conseil d’État, du dispositif de surveillance par drones mis en place par la préfecture de police afin de s’assurer du respect du confinement et l’interdiction des rassemblements lors du déconfinement illustre les conditions de conciliation du traçage numérique involontaire avec le droit au respect de la vie privée (CE, ord., 18 mai 2020, n°440442).
Le Conseil d’État a d’abord relevé que l’usage du dispositif n’était pas de nature à porter, par lui-même, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les requérants tenant la finalité légitime de l’objectif poursuivi par le dispositif visant à faire cesser ou prévenir le trouble à l’ordre public que constitue la méconnaissance des règles de sécurité sanitaire.
Toutefois, le Conseil d’État a considéré qu’une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée était caractérisée en l’espèce dès lors que les drones étaient « susceptibles de collecter des données identifiantes » et qu’aucun dispositif technique ne permettait de rendre impossible l’identification des personnes filmées.
Profondément modifiée pour tenir compte des observations émises par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL, Délib. n° 2020-046 portant avis sur un projet d’application mobile dénommée « StopCovid », 24 avril 2020) et le Conseil national du numérique (CNNum, Avis « StopCovid », 24 avril 2020) en matière de droit au respect de la vie privée et de protection des données, l’application StopCovid illustre le traçage numérique volontaire.
Le volontariat constituait un élément essentiel de l’application. Ainsi, pour la CNIL, le volontariat ne devait pas se limiter au choix pour l’utilisateur d’installer, d’utiliser et de désinstaller l’application, mais devait également garantir « qu’aucune conséquence négative n’est attachée à l’absence de téléchargement ou d’utilisation de l’application » sous peine de porter une atteinte « considérable » au droit au respect de la vie privée qui comprend le droit à la protection des données à caractère personnel.
La place du volontariat dans l’empreinte numérique, et la maîtrise de ses conséquences, fait directement écho à la question du consentement libre et éclairé déjà contrôlé par le juge à propos de l’utilisation des cookies publicitaires (CJUE, 1er oct. 2019, Planet 49, aff. C-673/17) ou de la collecte et du traitement de données personnelles de santé pour le traitement de l’apnée du sommeil (CE, 17 juin 2019, n°417962).
La question de la maîtrise d’une empreinte numérique souligne l’équilibre délicat entre la légitimité des buts poursuivis par la diffusion, la collecte et le traitement des données et le droit au respect de la vie privée qui comprend le droit à la protection des données à caractère personnel (CE, 19 juin 2020, n°440916).
Dans un autre registre, le contrôle des opérations électorales des 15 mars et 28 juin 2020, marquées par des campagnes résolument dématérialisées, conduira très certainement le juge administratif à affiner sa jurisprudence relative à l’utilisation des réseaux sociaux et à préciser dans quelle mesure la diffusion d’information qui n’est pas imputable à un candidat, participant indirectement à son empreinte numérique, peut être prise en compte pour évaluer la sincérité du scrutin (CE, 21 novembre 2018, n°422003).