Habitat flottant : Les eaux troubles des règles d’urbanisme et de la domanialité publique
Habitat flottant : Les eaux troubles des règles d’urbanisme et de la domanialité publique
L’habitat flottant est présenté par certains, comme une réponse au changement climatique et par extension, aux risques littoraux induits par l’érosion et la montée des eaux.
Indépendamment des questions techniques relatives aux avantages et inconvénients que présente cette forme atypique d’habitat, elle interroge également le juriste quant à son appréhension par les règles d’urbanisme et par celles relative à la domanialité publique.
La première question à laquelle le juriste devra répondre sera celle de la détermination du régime urbanistique de l’habitat flottant : L’habitat flottant est-il soumis au régime des autorisations d’urbanisme ?
L’habitat flottant peut être défini comme un bâtiment flottant conçu non pas à des fins de navigation, mais dédié à l’habitation.
Ce type d’installation, qui n’est pas envisagé par le code de l’urbanisme, ne fait pas l’objet d’une jurisprudence fournie de la part du juge administratif. Cependant, les rares jurisprudences traitant de son régime juridique sont univoques : une installation flottante non destinée à la navigation, mais à usage de logement constitue par ses caractéristiques propres et sa destination, une construction soumise au respect des règles d’occupation des sols dont l’édification nécessite un permis de construire[1].
Cet arrêt rappelle d’une part que la soumission au régime des autorisations d’urbanisme dépendra de ce qui caractérise usuellement une construction : ses dimensions, sa nature et sa localisation[2], c’est-à-dire les caractéristiques propres et les dimensions de l’ouvrage[3].
Cet arrêt rappelle d’autre part que la mobilité de l’installation est indifférent à la qualification de construction au sens du Code de l’urbanisme et à sa soumission à autorisation préalable[4].
Dès lors, il est possible de considérer, en l’état du droit positif et de la jurisprudence, qu’un bâtiment flottant à usage principal de logement non destiné à la navigation et qui présente des dimensions non négligeables, constitue une construction au sens de l’article L 421-1 du Code de l’urbanisme et relève du régime des autorisations d’urbanisme, nonobstant la circonstance qu’il présente une certaine mobilité.
Par ailleurs, l’éventuelle nécessité d’un point d’ancrage, sur le fond marin ou sur une berge pour ne pas voir la structure dériver, conforterait ce rattachement au régime des constructions en ce que l’ancrage crée une emprise au sol.
La deuxième question qui se pose est celle de savoir si, indépendamment de la nécessité d’une autorisation d’urbanisme préalable, l’habitat flottant sera soumis au respect des règles d’urbanisme prévues par le code de l’urbanisme et par les documents locaux d’urbanisme.
La réponse à cette question parait à première vue évidente. En effet, en vertu des dispositions combinées des articles L 421-6 et L 421-8 du Code de l’urbanisme les constructions, aménagements, installations et travaux, même dispensés d’autorisation d’urbanisme, doivent respecter les « dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords ».
Si le code de l’urbanisme prévoit que des installations ne sont pas soumises au code de l’urbanisme, cette exception concerne seulement certains ouvrages implantés en mer sur le domaine public maritime immergé dont la liste est fixée à l’article R 421-8-1 du Code de l’urbanisme, à savoir les installations de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable[5].
En l’état du droit positif, l’habitat flottant doit ainsi être considéré comme soumis au respect des règles d’urbanisme.
Pour autant, le fait que les habitats flottants soient soumis aux documents d’urbanisme ne règle pas entièrement la question des règles d’urbanisme qui leur sont applicables puisque ces ouvrages sont implantés sur la mer et non sur le territoire communal terrestre.
Au titre des règles d’urbanisme applicables, on pensera d’abord au document d’urbanisme communal (POS ou PLU).
En effet, le caractère maritime du PLU ne semble pas poser de difficulté dès lors qu’il est admis que le territoire de chaque commune littorale se poursuit sur le domaine public maritime et en mer territoriale[6] et, d’autre part, que les documents d’urbanisme s’appliquent au domaine public maritime[7].
A cet égard, le Conseil d’Etat a expressément précisé que « l’appartenance de terrains au domaine public ne constitue pas en soi un obstacle à ce qu’ils fassent l’objet de prévisions et de prescriptions édictées par un plan d’occupation des sols »[8], les prescriptions d’urbanisme devant alors être compatible avec l’affectation du domaine.
Mais quid d’un document d’urbanisme qui ne prévoirait aucun zonage en mer ? Dans cette hypothèse, le juge considère que le document d’urbanisme comporte en réalité un zonage implicite qui n’autorise que les seuls usages conformes à la destination du domaine public maritime naturel[9], soit notamment, l’accès à la mer, la navigation (commerciale ou de plaisance) la pêche et la culture marine.
L’obligation d’une affectation conforme à la destination du domaine pourrait entraver le développement de l’habitat flottant en mer dans la mesure où une jurisprudence, certes ancienne mais qui n’a été ni confirmé ni infirmé depuis, exclu qu’un document d’urbanisme affecte une dépendance du domaine public maritime à de l’habitat privé[10].
Enfin, dans l’hypothèse où l’habitat flottant ne serait pas exclu expressément du champ d’application du code de l’urbanisme, les dispositions de la loi Littoral pourrait également constituée un frein à son essor.
En effet, l’existence d’un territoire communal en mer et la définition retenue par le législateur pour l’application de la loi Littoral[11] laissent penser que les principes particuliers d’aménagement des territoires littoraux s’appliquent sur terre comme en mer.
Toutefois, on relèvera que le juge administratif considère de longue date que la Loi littoral ne s’applique pas aux espaces maritime ne se situant pas à proximité du rivage[12].
Au regard du droit positif et de la jurisprudence, l’habitant flottant navigue dans les eaux troubles des règles d’urbanisme et de la domanialité publique, sauf à considérer que ce type d’installation puisse être qualifié de navire.
[1] CAA de Nantes, 29 décembre 2014, n° 13NT01048
[2] Une « maison flottante » édifiée sur une barge posée sur un plan d’eau est une construction, Paul Report, Rapporteur public, AJDA 2013 p 1236
[3] CE, 15 février 2006, Carvallo, n° 268242
[4] L’article L. 421-1 du code de l’urbanisme prévoit que « les constructions, même ne comportant pas de fondations, doivent être précédées de la délivrance d’un permis de construire ». Et le juge a déjà pu considérer qu’une construction ayant vocation à être déplacée telle qu’une habitation légère de loisir est soumise au champ d’application du permis de construire (CE, 18 mars 1993, Fédération nationale de l’hôtellerie de plein air, n° 33780).
[5] Notamment les éoliennes, les hydroliennes, les installations houlomotrices et marémotrices ainsi que celles utilisant l’énergie thermique des mers
[6] CE, 20 février 1981, Commune de Saint-Quay-Portrieux, n° 16449 (soit jusqu’à la limite territoriale des 12 milles marin)
[7] CE, 30 mars 1973, sieur Schwetzoff, n° 88151
[8] CE 28 juillet 2000, Port autonome de Nantes Saint-Nazaire, n° 135835
[9] CE, 30 mars 1973, sieur Schwetzoff, n° 88151
[10] TA de Rennes, 4 mai 1977, Association pour la sauvegarde du pays Fouesnantais, n° 16577
[11] Article L 121-1 du Code de l’urbanisme : « les dispositions du présent chapitre déterminent les conditions d’utilisation des espaces terrestres, maritimes et lacustre »
[12] CE, 5 juillet 1999, Comité local pêches maritimes et élevages marins Noirmoutier, n° 197287 (pour un projet à 8 km du rivage) ; CAA de Bordeaux, 29 juin 2009, Ministre de l’Agriculture et de la Pêche, n° 07BX00447 (pour un projet à 2,5 km du rivage) ; même solution à propos d’un parc éoliens offshore situé à une distance comprise entre 10 et 16 km des côtes : CAA de Nantes, 20 juin 2017, n°16NT02757 et CAA de Nantes, 2 octobre 2017, n°16NT03382 ; et un parc éolien offshore situé à 12 km du rivage : CAA de Nantes, 15 mai 2017, PROSIMAR, n°16NT02321.