LA DIFFÉRENCE D’APPLICATION DES PRINCIPES DE LA LOI LITTORAL EN MÉTROPOLE ET DANS LES DÉPARTEMENTS ET RÉGIONS D’OUTRE MER

LA DIFFÉRENCE D’APPLICATION DES PRINCIPES DE LA LOI LITTORAL EN MÉTROPOLE ET DANS LES DÉPARTEMENTS ET RÉGIONS D’OUTRE MER

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 31 Mai 2019

 

La différence d’application des principes de la Loi littoral en métropole et dans les départements et régions d’outre-mer

 

Les stratégies et orientations concernant les espaces littoraux connaissent une mise en œuvre distincte dans les territoires métropolitains et dans les Départements et Régions d’outre-mer (DROM) puisque le Code de l’environnement distingue, pour la mise en place de la stratégie nationale pour la mer et le littoral, le Document stratégique de façade maritime (DSFM) pour la métropole et le Document stratégique de bassin maritime (DSBM) pour les DROM dont les modes d’élaboration diffèrent malgré un contenu proche[1].

 

Concernant les règles prescrites par le Code de l’urbanisme, si les principes directeurs de la Loi littoral[2] sont communs aux territoires métropolitains et aux DROM, leur mise en œuvre connait des différences notables qu’il convient d’identifier.

 

Cette différentiation dans l’application de la Loi littoral entre métropole et DROM est inscrite à l’article L 121-38 du Code de l’urbanisme qui précise que : « Les dispositions des sections 1 et 2 du présent chapitre [dispositions générales et servitudes de passage sur le littoral] sont applicables, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à La Réunion, aux communes littorales définies à l’article L. 321-2 du code de l’environnement, et à Mayotte, à l’ensemble des communes, à l’exception des articles L. 121-12, L. 121-13, L. 121-16, L. 121-17 et L. 121-19, et sous réserve des dispositions ci-après ».

 

Pour rappel, la Loi littoral est construite autour de trois grands principes régissant trois ensembles géographiques :

  • Le principe d’urbanisation en continuité des espaces urbanisés dans les communes littorales[3],
  • Le principe d’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage,
  • Le principe d’interdiction de construction en dehors des zones urbanisées dans la bande littorale,

 

L’étude des différences d’application de ces trois grands principes en métropole et dans les DROM permet de mettre en perspective les différentes manières de satisfaire les contraintes urbanistiques prévues pour chacun des trois ensembles géographiques visés par la Loi littoral.

 

  1. Dans les communes littorales : le principe d’urbanisation en continuité des agglomérations et villages existants

 

  • En métropole :

 

Dans les communes littorales, l’article 121-8 du Code de l’urbanisme fixe le principe de l’extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations et villages existants, c’est-à-dire en continuité des zones déjà urbanisées caractérisées par une densité significative des constructions[4].

 

La loi ELAN du 23 novembre 2018[5] supprime la possibilité d’urbanisation en « hameau nouveau intégré à l’environnement », mais prévoit une nouvelle possibilité de construction dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages existants, en dehors de la bande des 100 mètres et des zones proches des rivages « à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti ».

 

Cette nouvelle possibilité est accompagnée de critères de reconnaissance des secteurs déjà urbanisés qui « se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs ».

 

  • Dans les départements et régions d’outre-mer :

 

L’extension de l’urbanisation sur le territoire des communes littorales doit se réaliser, comme en métropole, soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit dans les conditions prévues pour les zones intermédiaires déjà urbanisées précitées.

 

Le principe d’extension d’urbanisation en continuité des agglomérations et villages existants bénéficie des mêmes exceptions que celles prévues pour la métropole dans le Code de l’urbanisme, à savoir :

  • La création de camping et stationnement de caravane dans les secteurs spécifiques prévus par le PLU (article L 121-9),
  • Les constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles, forestières ou aux cultures marines en dehors des espaces proches du rivage (article L 121-10 al. 1)
  • Les constructions ou installations nécessaires aux cultures marines dans les espaces proches du rivage (article L 121-10 al. 2),
  • La réalisation de travaux de mise aux normes des exploitations agricoles, à condition que les effluents d’origine animale ne soient pas accrus (article L 121-11).

 

Seule l’exception relative à la possibilité d’installation d’éoliennes en discontinuité de l’urbanisation, lorsque celles-ci sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées et en dehors des espaces proches du rivage, est plus souple dans les DROM qu’en métropole[6].

 

  1. Dans les espaces proches du rivage : l’extension limitée de l’urbanisation

 

  • En métropole :

 

Dans les espaces proches du rivage[7], l’article 121-13 du Code de l’urbanisme fixe le principe d’extension limitée de l’urbanisation justifiée et motivée dans le PLU selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau[8].

 

Ce même article prévoit que les critères précités ne sont pas applicables lorsque l’extension de l’urbanisation est conforme aux dispositions du Schéma de cohérence territoriale (SCOT) ou du schéma d’aménagement régional applicable sur le territoire, ou compatible avec le Schéma de mise en valeur de la mer (SMVM). En l’absence de ces documents, l’urbanisation peut également être autorisée par le préfet.

 

Selon la jurisprudence, le caractère limité de l’urbanisation est déterminé par : l’importance de l’installation ou de la construction envisagée[9], la configuration des lieux[10] et les installations et constructions réalisées sur les terrains voisins[11].

 

  • Dans les départements et régions d’outre-mer :

 

Le Code de l’urbanisme exclut expressément l’application de l’article L 121-13 dans les DROM et prévoit un régime spécifique à l’article L 121-40, fondé sur le principe de l’extension de l’urbanisation dans les secteurs déjà occupés par une urbanisation diffuse.

 

La notion d’urbanisation diffuse peut être caractérisée :

  • Positivement par une certaine urbanisation faite de constructions éloignées, sans continuité avec une agglomération ni regroupement de constructions en hameau[12], mais présentant une certaine importance quantitative[13],
  • Négativement par les dispositions de l’article L 121-8 al. 2 du Code de l’urbanisme qui précise que les secteurs déjà urbanisés « se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs ».

 

Ce principe d’urbanisation dans les secteurs déjà occupés par une urbanisation diffuse est limité par l’article L 121-42 du Code de l’urbanisme qui impose de ménager des espaces naturels ouverts sur le rivage et présentant le caractère d’une coupure d’urbanisation.

 

On retrouve ici la notion de coupure d’urbanisation prévue de manière générale pour les documents d’urbanismes à l’article L 121-22 du même Code, dont il est fait une application directe aux autorisations d’urbanisme dans les espaces proches du rivage des DROM[14] , sans pour autant s’étendre à tous les terrains préservés de l’urbanisation dans ces espaces[15].

 

Par ailleurs, le Code de l’urbanisme prévoit deux exceptions au principe de l’extension de l’urbanisation dans les secteurs déjà occupés par une urbanisation diffuse :

  • Pour les opérations d’aménagement préalablement prévues dans le chapitre du SAR valant SMVM (article L 121-40),
  • Pour l’extension de l’urbanisation à titre exceptionnel, avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État[16] (article L 121-41).

 

Enfin, des mesures de protection spécifiques sont prévues à l’article L 121-4 3 du Code de l’urbanisme pour les mornes[17], et à l’article L 121-44 du même Code pour certains espaces littoraux de Mayotte[18].

 

 

  1. Dans la bande littorale : l’interdiction de principe de construction en dehors des zones urbanisées

 

  • En métropole :

 

En dehors des espaces urbanisés, l’article 121-16 du Code de l’urbanisme fixe le principe d’interdiction des constructions et installations dans la bande littorale de 100 mètres[19].

 

Ce principe fait l’objet d’une dérogation prévue à l’article L 121-17 du même Code pour les constructions ou installations nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau ainsi que pour les canalisations et jonctions nécessaires au transport d’électricité ou aux communications électroniques.

 

La notion d’activité économique exigeant la proximité immédiate de l’eau est interprétée de manière restrictive par la jurisprudence :

  • Sont des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau : les activités portuaires[20], d’aquaculture et de mareyage ;
  • Ne sont pas des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau : les équipements liés à l’activité balnéaire et touristique[21], les commerces[22], les parkings[23], et les installations temporaires (camping, caravaning, etc.).

 

Dans les espaces urbanisés, il est fait application du principe d’extension limitée de l’urbanisation prévu pour les espaces proches du rivage, puisque sont autorisés les projets « à la condition qu’ils n’entraînent pas une densification significative de ces espaces »[24].

 

  • Dans les départements et régions d’outre-mer :

 

Le Code de l’urbanisme exclut expressément l’application des articles L 121-16 et 121-17 dans les DROM et prévoit un régime spécifique, aux articles L 121-45 et suivants, fondé sur la réserve domaniale dite des cinquante pas géométriques et distinguant parties non-urbanisées, parties urbanisées et secteurs occupés par une urbanisation diffuse.

 

Dans les DROM, l’article L 121-45 du Code de l’urbanisme prévoit que la bande littorale est comprise entre le rivage de la mer et la limite supérieure de la réserve domaniale dite des cinquante pas géométriques :

  • En Guyane et à Mayotte, cette bande présente une largeur de 81,20 mètres à compter de la limite haute du rivage,
  • À La Réunion, à la Guadeloupe et à la Martinique cette zone est délimitée[25].

 

Dans les parties non-urbanisées, l’article L 121-46 du Code précité autorise les constructions ou installations nécessaires à des services publics, à des activités économiques ou à des équipements collectifs, lorsqu’ils sont liés à l’usage de la mer, sous réserve de préserver l’accès et la libre circulation le long du rivage.

 

Cet article ne reprend pas la notion « d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau » utilisée dans les articles relatifs à la métropole, mais utilise la notion d’installations « liées à l’usage de la mer » qui pourrait être moins restrictive, bien que la jurisprudence n’a pas, à ce jour, distingué l’application de ces deux notions[26].

 

Dans les parties urbanisées, l’article L 121-48 du Code de l’urbanisme permet, sous réserve de garantir l’accès et la libre circulation le long du rivage et de prévoir des mesures compensatoires :

  • l’affectation des terrains déjà occupés au 1er janvier 1997 (ou au 29 juillet 2005 pour Mayotte) « à des services publics, des équipements collectifs, des opérations de réaménagement de quartier, de logement à caractère social et de résorption de l’habitat insalubre, des commerces, des structures artisanales, des équipements touristiques et hôteliers ainsi qu’à toute autre activité économique dont la localisation à proximité de la mer est justifiée par son usage ou par une nécessité économique de desserte par voie maritime».
  • L’adaptation, le changement de destination, la réfection, la reconstruction et l’extension limitée des constructions existantes,

 

Cependant, l’article L 121-47 du Code précité prévoit la préservation des terrains à usage de plages, d’espaces boisés, de parcs ou de jardins publics[27] ainsi que des espaces naturels sauf si un intérêt public exposé au plan local d’urbanisme justifie une autre affectation.

 

Dans les parties occupées par une urbanisation diffuse au 1er janvier 1997 (ou au 29 juillet 2005 pour Mayotte), sont autorisées, sous réserve de la préservation des terrains à usage de plages, d’espaces boisés, de parcs ou de jardins publics ainsi que des espaces naturels (article L 121-49) :

  • L’affectation « à des services publics, des équipements collectifs, des programmes de logements à caractère social, des commerces, des structures artisanales, des équipements touristiques et hôteliers»,
  • L’adaptation, le changement de destination, la réfection, la reconstruction et l’extension limitée des constructions existantes.

 

Enfin, il convient de noter que les DROM bénéficient de règles spécifiques en matière de préservation de certains milieux (article L 121-51 du Code de l’urbanisme[28] ) ainsi que pour l’instauration de servitudes de passages transversales (article L 121-51 du Code de l’urbanisme).

 

[1] Ces documents définissent les objectifs de la gestion intégrée de la mer et du littoral dans leurs dimensions économiques, sociales et écologiques

[2] Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral

[3] Article L 321-2 du Code de l’environnement : communes riveraines des mers et océans, des étangs salés, des plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1 000 hectares et des deltas selon une liste fixée par décret

[4] CE, 19 octobre 2007, n° 306074

[5] LOI n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique

[6] L’article L 121-11 du Code l’urbanisme relatif aux éoliennes applicable en métropole prévoit une interdiction d’installation dans une bande d’un kilomètre à compter de la limite haute du rivage

[7] Pour rappel selon la jurisprudence, la notion d’espaces proches du rivage repose sur trois critères : la distance entre le terrain et le rivage de la mer, l’existence ou non d’une co-visibilité entre le terrain et la mer, et l’existence d’une urbanisation entre cet espace et la mer (voir en ce sens : CE, 3 juin 2009, n° 310587)

[8] Pour la notion d’activités exigeant la proximité immédiate de l’eau, voir infra dans la partie relative aux dérogations à l’interdiction de construction dans la bande de 100 mètres en dehors des espaces urbanisés.

[9] CE, 30 déc. 2009, n° 315966 : densité, importance, et destination

[10] Densité du tissu urbain, topographie des lieux, secteur de logement individuel ou collectif, etc.

[11] CAA Bordeaux, 5e ch., 12 mars 2013, n° 11BX02710

[12] CAA de Marseille, 25 novembre 2010, n° 09MA00127

[13] AJDA 2002, La loi Littoral devant les cours administratives d’appel, Lilian Benoit, Evelyne Coënt-Bochard et Pierre Larroumec et CAA de Bordeaux, 15 mars 2001, M. Brin et autres, n° 97BX02362

[14] CAA de Bordeaux, 17 mai 2001, 97BX30463

[15] CAA de Bordeaux, 4 décembre 2018, n° 17BX00304

[16] Après avis de la région sur la compatibilité de l’urbanisation envisagée avec les orientations du schéma d’aménagement régional et après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites appréciant l’impact de l’urbanisation sur la nature

[17] Les mornes sont de petites montagnes arrondies isolées au milieu d’une plaine d’érosion

[18] Plages de sable, mangroves, lagons ou récifs coralliens

[19] Bande calculée à partir du rivage ou de la limite des plus hautes eaux en dehors des circonstances météorologiques exceptionnelles

[20] CAA de Nantes, 10 juin 2008, n° 07NT02653

[21] CAA de Douai, 30 novembre 2006, n° 06DA00629

[22] CAA de Marseille, 8 septembre 2005, n° 02MA00145

[23] CE, 10 mai 1996, n° 155169

[24] CE, 21 juin 2018, n° 416564

[25] À défaut de délimitation ou lorsque la réserve domaniale n’a pas été instituée, cette bande présente une largeur de 81,20 mètres à compter de la limite haute du rivage.

[26] On trouve cependant une jurisprudence qui précise à propos d’une minoterie dont l’objet est de produire de la farine et des aliments pour le bétail : « que cette activité, qui n’a pour but ni d’exploiter les produits de la mer ni d’utiliser l’espace maritime, ne peut être regardée comme liée à l’usage de la mer » (CAA de Paris, 30 avril 1996, n° 95PA01238)

[27] Un conseil municipal ne peut autoriser la location d’une parcelle située dans la bande littorale, plantée d’arbres et affectée à usage de promenade publique, en vue d’implanter un restaurant (CE, 4 février 1994, Cne de Saint-Leu)

[28] Concerne les récifs coralliens, les lagons et les mangroves