Lettre du cabinet – Décembre 2021
Protection de l’eau et protection contre les eaux
L’eau, partie intégrante du patrimoine commun de la nation (1), constitue une ressource de plus en plus rare. Les enjeux liés à l’eau, quelle que soit sa forme ou ses attributs (eau pluviale, eau potable, eau marine, eau usée, eau stagnante, eau vive…), commandent une gestion territorialisée, globale, équilibrée et durable qui se traduit classiquement par des outils de planification dont le respect est sanctionné par un pouvoir de police dédiée.
La présente lettre est l’occasion d’évoquer plusieurs jurisprudences rendues cette année liées à la protection de l’eau et à la protection contre les eaux.
Concernant la protection de l’eau,
Sur le rappel de l’« analyse globale » pour apprécier la comptabilité d’un projet avec les orientations et objectifs des SDAGE et la prise en compte du changement climatique(2)
L’on sait, depuis l’arrêt de principe Société Roybon Cottages (3) que pour apprécier l’obligation de compatibilité entre une autorisation délivrée au titre de la législation sur l’eau et le SDAGE, qu’il appartenait au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire couvert, si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard de chaque disposition ou objectif particulier.
Par un arrêt du 23 février 2021, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a offert une illustration des conditions d’appréciation de l’exigence de compatibilité concernant un projet de création d’une retenue d’eau. La Cour a estimé que le projet était incompatible avec le SDAGE au regard des risques d’altérations du milieu aquatique (destruction du cours d’eau le long du projet, destruction de 1 660 m2 de zones humides…) et tenant les incertitudes quant à l’utilité du projet. C’est sur ce dernier point que l’arrêt peut être souligné en ce que l’utilité du projet a été appréciée notamment au regard des perspectives d’évolution à la baisse de l’hydrologie entraînée par le changement climatique.
Sur l’appréciation casuistique des ouvrages relevant du domaine de l’eau et la divisibilité des projets (4)
Par son arrêt Commune de Bonrepos Riquet, le Conseil d’État a précisé que la déclaration d’utilité publique des travaux relatifs à un ouvrage autoroutier ne constitue pas, du seul fait de son objet principal, une décision » dans le domaine de l’eau « . En conséquence, les travaux en cause n’ont pas à être compatibles avec les dispositions du SDAGE.
Il ne s’agit toutefois pas d’une position de principe. En effet, quelques mois auparavant le Conseil d’État avait admis qu’une déclaration d’utilité publique relative à un ouvrage autoroutier constituait une » décision administrative dans le domaine de l’eau « , devant à cet égard être compatible avec le SDAGE et le SAGE, après avoir relevé que le projet impliquait la construction, l’aménagement et l’exploitation d’ouvrages spécifiquement destinés à la rétention, à l’écoulement ou au traitement des eaux afin de prévenir les risques d’inondation ou de pollution sur l’emprise ou au voisinage du projet (5).
Les arrêts en cause démontrent le caractère casuistique de l’appréciation et la distinction qu’il convient d’opérer entre le projet global qui peut ne pas relever du domaine de l’eau, de par son objet principal, et des ouvrages spécifiques nécessaires à la mise en œuvre du projet relevant du domaine de l’eau au regard de leur incidence potentielle sur l’eau (6).
Concernant la protection contre les eaux
Sur l’appréciation concrète du risque d’inondation et des garanties offertes par les ouvrages de protection au-delà de leur régularité (7)
À l’occasion de l’examen de la légalité d’un plan de prévention des risques d’inondation, le Conseil d’État a pu détailler les modalités d’appréciation de la nature et de l’intensité du risque conduisant à l’édiction d’interdictions et/ou de prescriptions nécessaires, à titre préventif, notamment pour ne pas aggraver le risque pour les vies humaines.
Reprenant le principe de l’arrêt M. Bonnefoi (8), le Conseil d’État a rappelé que « la nature et l’intensité du risque doivent être appréciées de manière concrète au regard notamment de la réalité et de l’effectivité des ouvrages de protection ainsi que des niveaux altimétriques des terrains en cause à la date à laquelle le plan est établi ». Le Conseil d’État consacre par ailleurs une « approche réaliste » (9) de l’appréciation du risque devant conduire le Préfet à tenir compte des ouvrages de protections existants, même s’ils n’ont pas été régulièrement autorisés, en mettant en balance « les protections et les risques que la présence même de ces ouvrages présentent » (10).
De la responsabilité communale et étatique au titre de la sous-évaluation des risques d’inondation (11)
Les inondations liées à la tempête Xynthia, conjuguée à une submersion des digues, ont conduit les juridictions à se prononcer sur la responsabilité des communes et de l’État au titre de la sous-évaluation des risques. Par son arrêt du 14 juin 2021, le Conseil d’État devait se prononcer sur la responsabilité de la commune de la Faute-sur-Mer et de l’État en cette matière.
D’une part, le juge a confirmé la responsabilité de la commune qui a délivré une autorisation de lotir dans un secteur qu’elle savait exposé à un risque d’inondation d’une particulière gravité excédant celui traduit dans le cadre du plan de prévention des risques. D’autre part, la responsabilité de l’État a également été retenue du fait de sa sous-évaluation des risques d’inondation. Enfin, le juge a reconnu un lien direct de causalité entre le préjudice subi par les requérants « en raison de l’inconstructibilité des terrains qu’ils avaient acquis et le classement fautif de ces terrains, lors de leur acquisition, en zone UC constructible du POS de la commune de La Faute-sur-Mer, classement qui avait été favorisé par la sous-estimation fautive par les services de l’État du risque d’inondation les affectant ».
(1) C. Env. art. L.210-1.
(2) CAA Bordeaux, 23 février 2021, n°19BX02219.
(3) CE, 21 novembre 2018, n°408175, Société Roybon Cottages.
(4) CE, 5 mars 2021, n°424323, Commune de Bonrepos Riquet et autres.
(5) CE, 19 novembre 2020, n°417362, Commune de Val-de-Reuil et autres.
(6) Voir M. Stéphane HOYNCK, rapporteur public, sur CE, 19 novembre 2020, n°417362, Commune de Val-de-Reuil et autres.
(7) CE, 24 novembre 2021, n°436071, Société les quatre chemins.
(8) CE, 6 avril 2016, n°s 386000 386001, Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie c/ M. Bonnefoi et autres.
(9) Voir M. Stéphane HOYNCK, rapporteur public, sur CE, 24 novembre 2021, n°436071, Société les quatre chemins.
(10) M. Stéphane HOYNCK, préc.
(11) CE, 14 juin 2021 n°433393.