Lettre du cabinet – Février 2022
Caracoles, no pasarán !
De la présence permanente non indispensable d’un éleveur d’escargots sur le lieu de son exploitation.
L’on sait que les règles d’urbanisme encadrent rigoureusement les constructions admises en zone agricole. Et lorsqu’un projet concerne une construction à usage d’habitation, il appartient à l’autorité compétente « d’apprécier le caractère indispensable de la présence permanente de l’exploitant sur l’exploitation au regard de la nature et du fonctionnement des activités de l’exploitation agricole » (1).
L’affaire ci-dessous présentée, que le Cabinet a eu la charge de défendre, illustre la mise en oeuvre classique de l’appréciation du lien de nécessité entre une activité agricole et la présence de l’exploitant sur l’exploitation appliquée à une activité plutôt originale, l’héliciculture.
En l’espèce, après avoir obtenu un permis de construire pour un hangar sur un terrain situé en zone agricole pour y développer son activité hélicicole, l’éleveur d’escargots a sollicité un permis de construire pour édifier une maison individuelle à usage d’habitation sur ce même terrain.
Cette demande de permis de construire a été refusée par la Commune, notamment en ce que l’éleveur n’établissait pas la nécessité de sa présence permanente sur le lieu de l’exploitation.
Saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus de permis de construire, le Tribunal administratif l’a annulé. La Commune a relevé appel de ce jugement.
Tout l’enjeu pour le Cabinet était donc de faire la démonstration que l’élevage d’escargots en cause ne nécessitait pas, par sa nature et son fonctionnement, que l’exploitant soit présent en permanence sur le siège de l’exploitation justifiant alors la réalisation d’une construction à usage d’habitation en zone agricole.
La Cour administrative d’appel de Marseille a fait droit à la demande de la Commune et retenu que le soin requis par les gastéropodes ne nécessitait pas, dans les circonstances de l’espèce, la présence permanente de l’éleveur sur le site d’exploitation (2).
Pour justifier de la nécessité de sa présence, l’éleveur mettait en avant les contraintes liées à son exploitation d’un cheptel de 300 000 escargots petits et gros gris sur une superficie de parcs d’élevage d’engraissement de 1 000 m² et de production sur place du caviar d’oeufs d’escargots et de la chair d’escargots destinés à être commercialisés en direct sur les marchés hors de son exploitation.
En premier lieu, l’éleveur faisait valoir que sa présence était requise lors de la phase d’engraissement, de mai à septembre, afin d’assurer la surveillance des pannes d’alimentation électrique des clôtures des parcs d’élevage pour éviter que les escargots ne s’échappent et que les stocks de produits transformés soient détériorés dans les chambres froides du fait de la rupture de la chaîne du froid.
Comme l’y invité le Cabinet, la Cour a retenu que l’éleveur n’établissait « ni la fréquence de ces supposées pannes électriques, ni que la vitesse de déplacement des escargots fugueurs, évaluée par l’exploitant à 4 mètres à l’heure, et à supposer même qu’ils franchissent les clôtures des parcs tous en même temps, exigerait sa présence permanente pour les ramasser et les remettre en parcs sans subir une perte considérable de son cheptel, eu égard notamment à la proximité de son domicile actuel et à la possibilité de mettre en place un dispositif d’alarme à distance en cas de panne ».
À ce titre, la Cour a pu s’appuyer sur une jurisprudence constante écartant le caractère indispensable de la présence de l’exploitant sur une exploitation au regard de la proximité de son domicile (3).
En deuxième lieu, l’éleveur s’appuyait sur les contraintes de la phase de reproduction, qui s’étend de février à mars, lors de laquelle les oeufs d’escargots sont ramassés de jour comme de nuit 7 jours sur 7, afin de les recueillir dans un état de grande fraîcheur et de la phase de décoquillage, de beurrage et de transformation des escargots en produits commercialisés d’octobre à décembre.
En dépit du caractère chronophage de ces phases, impliquant la présence soutenue et une amplitude journalière de travail étendue, la Cour a considéré que ces circonstances ne suffisaient pas à justifier que l’exploitant soit logé sur le site même de l’exploitation dès lors que ces taches pouvaient être planifiées.
Ici encore, la Cour s’est appuyée sur plusieurs précédents (4), pour les transposer à l’activité hélicicole.
En dernier lieu, la Cour a classiquement considéré que l’installation de son habitation sur son lieu d’exploitation n’était pas de nature à garantir l’éleveur des risques de vols et de vandalisme qu’il alléguait.
En effet, selon la jurisprudence, l’aggravation de la délinquance n’est pas de nature par elle-même à démontrer la nécessité de la présence permanente de l’exploitant sur le siège de l’exploitation (5) ni que la présence d’une habitation sur le lieu de l’exploitation serait de nature à assurer la sécurité de ladite exploitation (6).
La Cour administrative d’appel conclut ainsi, en dépit d’un avis de la chambre d’agriculture soulignant que l’activité est très consommatrice en main d’oeuvre, que le maire avait légalement justifié sa décision, en ce que le projet de construction de l’habitation individuelle n’était pas nécessaire à l’exercice de l’activité d’héliciculture du demandeur.
1 CE, 26 avril 2013, Mme T, n°352246.
2 CAA Marseille, 8 février 2022, n°19MA03635.
3 CAA Marseille, 9 mai 2018, n°17MA01439 ; CAA Bordeaux, 8 juin 2018, n°16BX00799 ; CAA Lyon, 16 mai 2017, n°15LY03574 ; CAA Marseille, 21 décembre 2015, n°14MA03780.
4 CAA Nantes, 4 mai 2018, n°17NT02198 ; CAA Marseille, 21 déc. 2015, n°14MA03780.
5 CAA Marseille, 22 décembre 2016, n°15MA00048.
6 CAA Nantes, 4 mai 2018, n°17NT02198.