LETTRE DU CABINET – JUILLET 2023

LETTRE DU CABINET – JUILLET 2023

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 11 Août 2023

 

Sanctions disciplinaires dans la fonction publique : l’articulation entre la révocation et la radiation des cadres, et l’articulation entre une exclusion temporaire de fonctions et un congé pour maladie

 

Arrêt du Conseil d’Etat du 5 juillet 2023, n° 445926 :

 

Cette décision fait application des dispositions disciplinaires du code de l’éducation dans le cadre desquelles le CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) constitue une juridiction administrative spécialisée statuant en appel et en dernier ressort sur les décisions disciplinaires prises par les instances universitaires compétentes à l’égard des enseignants-chercheurs, enseignants et usagers.

 

Le Conseil d’Etat juge que lorsque la sanction de révocation d’un fonctionnaire est prononcée par décision juridictionnelle (ici une décision du CNESER), la radiation des cadres de ce fonctionnaire intervient à la date à laquelle cette décision devient exécutoire.

 

Les décisions prises dans cette affaire étaient les suivantes :

 

– Le 11 juin 2015 : la Section disciplinaire de l’Université a prononcé l’interdiction d’exercice des fonctions pendant cinq ans à l’encontre d’un professeur des universités (sanction immédiatement exécutoire à compter de sa notification le 18 juin 2015),

– Le 8 juin 2016, le CNESER, en qualité de Juge d’appel, a annulé la décision du 11 juin 2015, et infligé au professeur la sanction de la révocation, assortie de l’interdiction définitive d’exercer toute fonction dans un établissement, sans toutefois procéder à la radiation des cadres de l’intéressé,

– Le 8 novembre 2017, le Conseil d’Etat a annulé la décision du 8 juin 2026, et renvoyé l’affaire au CNESER,

– Le 18 septembre 2018, le CNESER a de nouveau annulé la décision initiale du 11 juin 2015, et prononcé de nouveau la révocation, sans l’assortir d’une interdiction d’exercer, ni préciser sa période d’exécution (décision notifiée le 15 octobre 2018),

– Le 25 novembre 2019, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi formé contre la décision du 18 septembre 2018,

– Le 3 août 2020, le professeur a été radié des cadres, par décret, à compter du 18 juin 2015.

La question soumise au Conseil d’Etat dans l’instance n° 445926 est celle du choix de la date de prise d’effet de la radiation, ici le 18 juin 2015, alors que cette radiation des cadres a été prise pour l’application de la décision du CNESER du 18 septembre 2018, notifiée le 15 octobre suivant (atteinte au principe de non-rétroactivité).

Le Conseil d’Etat a considéré, au visa de l’article 24 de la loi du 23 juillet 1983 alors applicable et désormais codifié à l’article L. 550-1 du code général de la fonction publique, que :

– « La cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte : / […] / 4° De la révocation. […]. »,

 

– Qu’il résulte de cette disposition que la sanction de la révocation d’un fonctionnaire entraîne de plein droit la rupture des liens de ce fonctionnaire avec le service par sa radiation des cadres,

 

– Que lorsqu’une telle sanction est prononcée par décision juridictionnelle, cette rupture des liens avec le service intervient à la date à laquelle cette décision juridictionnelle devient exécutoire,

 

– Et qu’ainsi, la sanction à nouveau infligée par la décision du 18 septembre 2018, notifiée le 15 octobre 2018, sans mention relative à son exécution, étant immédiatement exécutoire dès sa notification, la radiation des cadres ne pouvait être prononcée à une date antérieure au 15 octobre 2018.

 

L’annulation de la décision du 3 août 2020 en tant qu’elle prononce la radiation des cadres à une date antérieure au 15 octobre 2018 implique qu’il doit enjoint à l’administration de réexaminer la situation administrative de l’intéressé entre le 18 juin 2015 et le 14 octobre 2018, pour que celui-ci soit placé dans une situation administrative régulière pendant cette période.

 

L’arrêt du Conseil d’Etat du 5 juillet 2023 est aussi l’occasion de rappeler que le pouvoir de l’administration consécutivement à une décision dont l’effet implique la radiation d’un agent, qu’elle soit disciplinaire ou pénale, est strictement encadré : c’est le cas lorsqu’une condamnation pénale emporte, par elle-même et de plein droit, interdiction d’exercer une fonction publique, soit en raison de la nature de l’infraction commise, soit en raison de la peine prononcée : cf. article L. 550-1 du code général de la fonction publique :

La cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte :


4° De la révocation ;


7° De la déchéance des droits civiques ;

8° De l’interdiction par décision de justice d’exercer un emploi public.

 

Lorsque la sanction prononcée contre le fonctionnaire répond à l’une de ces causes, l’administration ne fait que tirer les conséquences nécessaires de la condamnation en prononçant sa radiation « le cas échéant de matière rétroactive », en remontant aux dates des décisions des 4°, 7° et 8° ci-dessus (Conseil d’Etat, 22 avril 1992, n° 99671 ; 22 mars 1999, n° 191393 ; 17 juin 2005, n° 215761) ; il a même été jugée que l’administration a, dans cette hypothèse, compétence liée (Conseil d’Etat, Section, 25 juillet 1980, n° 15363)[1].

 

 

Arrêt du Conseil d’État du 3 juillet 2023, n° 459472 :

 

Rappel du principe selon lequel un agent faisant l’objet d’une exclusion temporaire de fonctions ne saurait, pendant cette période, bénéficier d’un maintien de sa rémunération à raison de son placement en congé de maladie :

 

« … la procédure disciplinaire et la procédure de mise en congé de maladie sont des procédures distinctes et indépendantes, et la circonstance qu’un agent soit placé en congé de maladie ne fait pas obstacle à l’exercice de l’action disciplinaire à son égard ni, le cas échéant, à l’entrée en vigueur d’une décision de sanction ».

« les dispositions de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 (article L. 822-3 du CGFP) selon lesquelles le fonctionnaire conserve, selon la durée du congé, l’intégralité ou la moitié de son traitement, ont pour seul objet de compenser la perte de rémunération due à la maladie en apportant une dérogation au principe posé par l’article 20 de la loi du 13 juillet 1983 (article L. 712-1 du CGFP) subordonnant le droit au traitement au service fait. Elles ne peuvent avoir pour effet d’accorder à un fonctionnaire bénéficiant d’un congé de maladie des droits à rémunération supérieurs à ceux qu’il aurait eus s’il n’en avait pas bénéficié. Un agent faisant l’objet d’une exclusion temporaire de fonctions étant privé de rémunération pendant la durée de cette exclusion, il ne saurait, pendant cette période, bénéficier d’un maintien de sa rémunération à raison de son placement en congé de maladie ».

 

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[1] Voir conclusions de M. Jean-François de MONTGOLFIER, Rapporteur public, sous CE n° 445926.