LETTRE DU CABINET – MAI 2023
Actualité du droit de la commande publique
Les derniers mois ont été l’occasion, tant pour le juge administratif que judiciaire, d’apporter des précisions utiles en matière de commande publique.
En premier lieu, deux arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans le domaine des référés précontractuels peuvent être soulignés, d’autant plus que ce contentieux ne relève pas principalement de la compétence du juge judiciaire. Ces arrêts portent sur le sort du référé précontractuel à la suite de la signature du marché (1) et l’exigence d’examen de la conformité d’une offre au regard des conditions fixées par le cahier des charges ou le règlement de consultation (2).
En second lieu, le Conseil d’État, juge habituel du contentieux des contrats publics, a apporté des précisions notables sur les modalités d’application des pénalités de retard en présence d’un groupement solidaire (3) et sur la qualification de la convention de projet urbain partenarial (PUP) (4).
- Com. 22 mars 2023, FS-B, n° 21-10.808
Dans cette affaire, une société de gestion d’habitations à loyer modéré (HLM) avait lancé une consultation relative à la vérification préventive et maintenance corrective des équipements de prévention et de sécurité incendie. Le titulaire sortant, informé du rejet de son offre, a alors saisi le juge judiciaire d’un référé précontractuel, conformément à l’article 2 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.
Le tribunal judiciaire a débouté le demandeur qui a formé un pourvoi en cassation contre l’ordonnance.
Durant l’instance en cassation, le marché a été signé en dépit du référé précontractuel qui aurait dû conduire la société de gestion HLM à suspendre sa signature. Suivant sa jurisprudence habituelle, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a estimé que la signature du marché ne privait pas d’objet le pourvoi. Toutefois, après avoir cassé l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire, la Cour n’a pas renvoyé l’affaire au tribunal puisque la signature du marché privait le juge du référé précontractuel de son office.
À titre de comparaison, afin d’éviter que le référé précontractuel ne soit privé de son effet utile par la signature du marché durant la période de suspension, le juge administratif admet dans certaines circonstances que le référé précontractuel soit transformé en référé contractuel [1].
- Com. 13 avr. 2023, FS-B, n° 20-22.095
Cet arrêt, contrairement au précédent, traduit un alignement de la position du juge judiciaire sur celle de la jurisprudence administrative.
En l’espèce, une société aéroportuaire a entamé la passation d’un marché public ayant pour objet des prestations de signalisation de la chaussée. Un concurrent évincé a assigné l’acheteur en référé précontractuel, toujours sur le fondement de l’article 2 de l’ordonnance du 7 mai 2009 applicable aux marchés publics de droit privé. Suite au rejet de ses prétentions d’annulation de la décision rejetant son offre et au soutien de son pourvoi, le demandeur soutenait que le juge des référés précontractuel du tribunal judiciaire aurait dû rechercher, ainsi qu’il le lui était demandé, si la société attributaire avait produit à l’appui de son offre les éléments justifiant de sa capacité économique et financière et ceux justifiant de sa capacité technique.
La Chambre commerciale a accueilli le pourvoi en rappelant que « le principe d’égalité de traitement des candidats implique que le pouvoir adjudicateur ne puisse, sans commettre une erreur d’appréciation, attribuer le marché à un candidat dont l’offre ne respecte pas les exigences et conditions du cahier des charges et du règlement de la consultation » et qu’il appartenait au juge, dès lors qu’il y était invité, de vérifier que la société attributaire avait produit, à l’appui de son offre, les éléments justifiant de sa capacité économique et financière requis par les pièces du marché.
On notera que cette solution du juge judiciaire s’inspire très directement de la jurisprudence administrative[2] et européenne[3].
- CE, 12 avr. 2023, Société Art et Build Architectes, n° 461576, mentionné aux tables
En l’espèce, un marché de maîtrise d’œuvre a été confié à un groupement solidaire d’entreprises mené par un cabinet d’architecture. À la suite de la défaillance de ce dernier, le maître d’ouvrage a résilié le marché à l’égard du seul mandataire du groupement de maîtrise d’œuvre, à ses frais et risques, avant de conclure un marché de substitution avec les autres membres du groupement.
Après avoir rappelé l’état de sa jurisprudence s’agissant de la résiliation pour faute au frais et risques du titulaire défaillant, le Conseil d’État apporte une précise utile sur la nécessaire proportionnalité des pénalités de retard lorsque le contrat, auquel le maître d’ouvrage est partie, fixe la part qui revient à chaque membre d’un groupement solidaire dans l’exécution d’une prestation.
Dans cette hypothèse, la proportionnalité du montant des pénalités de retard ne doit être appréciée qu’au regard de la part des prestations dont avait la charge, en application de contrat, le membre défaillant du groupement.
- CE, 12 mai 2023, Sté Massonex, n°464062
L’article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme, issu de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009, a institué la convention de projet urbain partenarial (PUP) qui permet de prévoir la participation des aménageurs et constructeurs au financement des équipements publics nécessaires à leurs opérations
Le Conseil d’État précise qu’une telle convention présente le caractère d’un contrat administratif dont la validité peut être contestée par un tiers dans les conditions définies par la décision « Tarn-et-Garonne »[4] .
Dès lors, il faut comprendre qu’à l’exception du Préfet ou d’un élu, le requérant qui voudra contester la conclusion d’un PUP devra démontrer en quoi le contrat est susceptible de le léser dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine. Il convient toutefois de souligner que cette solution est la consécration par le Conseil d’État de celle déjà proposée par des juridictions du fond.[5]
[1] Voir en ce sens CE, 30 sept. 2011, n°350148.
[2] CE, 27 mai 2020, Sté Clean Building, n°435982.
[3] CJUE, 4 juill. 2013, Fastweb, n° C-100/12
[4] CE, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, Publié au recueil Lebon
[5] Voir en ce sens CAA de Nantes, 23 juill. 2018, req. n°17NT00930