Lettre du cabinet – Mars 2022
La préservation des mers et des océans
La vulnérabilité des mers et des océans constitue une préoccupation ancienne comme peuvent en témoigner la conférence de Stockholm de 1972, la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer de 1982, ou encore l’Agenda 21 de Rio de 1992 consacrant un chapitre à la protection des océans.
Au regard de leur rôle déterminant dans l’absorption et la redistribution de la chaleur et du dioxyde de carbone et leur fonction de support aux écosystèmes (1), l’importance des mers et océans n’est plus à démontrer.
Il n’est donc pas étonnant que le dernier rapport du GIEC, publié le 28 février 2022 (2), après avoir consacré en 2019 un rapport spécial portant sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, souligne à nouveau les incidences du changement climatique, notamment sur les mers et les océans, et envisage pour la première fois une section spéciale dédiée aux moyens d’adaptation pour les villes et les établissements humains en bord de mer, les forêts tropicales, les montagnes, les zones critiques de biodiversité, les terres arides et les déserts, la Méditerranée et les régions polaires (3). Le rapport fait écho aux inquiétudes de la communauté scientifique quant au glacier Thwaites en Antarctique, surnommé le « glacier de l’apocalypse » (4), dont l’effondrement et la fonte pourrait entraîner une l’augmentation rapide et brutale du niveau des mers jusqu’à 65 centimètres.
Le « One Ocean Summit », organisé à Brest du 9 au 11 février 2022 dans le cadre de la présidence française du conseil de l’Union européenne, et qui s’est conclu par les engagements de Brest pour l’Océan, témoigne également de l’attention portée par une partie de la communauté internationale sur les sujets maritimes.
Afin de « mettre un point d’arrêt à la dégradation de l’Océan » (5), les parties prenantes se sont engagées afin d’agir pour la préservation de la biodiversité, l’arrêt de la surexploitation des ressources marines, la lutte contre les pollutions et l’atténuation du changement climatique.
Plusieurs engagements significatifs peuvent être soulignés :
– Les engagements relatifs à la lutte contre les pollutions sont essentiellement axés sur les nuisances liées au transport maritime. À cet égard, est créé un label « Green Marine Europe » portant sur les thèmes liés au bruit sous-marin, aux émissions atmosphériques polluantes, aux émissions de gaz à effet de serre, aux espèces aquatiques envahissantes, à la gestion des matières résiduelles, aux rejets huileux et au recyclage des navires.
– Un autre engagement est relatif à la réduction du rejet des plastiques en mer. Plus de 9 millions de tonnes de plastique sont déversées dans l’Océan chaque année. Certaines parties prenantes ont décidé de doubler leurs engagements financiers d’ici 2025 de la « Clean Oceans Initiative ». Par ailleurs, la France s’est engagée à intervenir pour traiter, à l’horizon 2032, les décharges abandonnées sur le littoral.
– S’agissant de la préservation de la biodiversité et des ressources, les engagements de Brest pour l’Océan consolident l’objectif de protéger 30% des terres et des mers d’ici à 2030, objectif déjà inscrit à l’article L.110-4 du Code de l’environnement suite à l’adoption de la loi dite « Climat et Résilience » (6) et que la France affirme avoir d’ores et déjà dépasser.
Plusieurs ONG (7) n’ont pas manqué de souligner un effet d’annonce, une forme de « blue washing », en ce que l’enjeu qualitatif de préservation dépend surtout du niveau de protection dévolu aux aires protégées. À titre d’exemple, si 45 % des eaux métropolitaines françaises étaient couvertes par des aires marines protégées en 2019, seules 0,2 % de ces aires marines protégées en eaux métropolitaines françaises bénéficiaient d’une protection forte (8).
L’ambition française, matérialisée par la « Stratégie nationale pour les aires protégées 2030 » et son plan d’actions 2021-2023, vise à couvrir 10% du territoire national et des eaux sous juridiction ou souveraineté par des zones de protection forte à l’horizon 2022.
Les enjeux liés à la préservation des mers et des océans se retrouvent aussi dans la jurisprudence administrative. Il est possible de rappeler l’appréciation portée par le Conseil d’État sur le respect par l’État de ses engagements issus de l’Accord de Paris en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (9).
Il convient également de souligner l’arrêt par lequel le Conseil d’État (10) a été conduit à apprécier le respect des règles relatives à la préservation de la qualité des eaux, concernant notamment les sites marins Natura 2000, au titre de la transposition de la directive européenne relative à une utilisation compatible des pesticides avec le développement durable (11).
En définitive, comme le relevait le Président de l’Institut Français de la Mer (IFM) (12), la protection des océans et des mers apparaît largement limitée par des enjeux de souveraineté, lesquels peuvent toutefois être adaptés, comme l’illustrent les engagements de Brest pour l’Océan, ou être encadrés comme pourrait le permettre la consécration de l’Océan en tant que « bien commun de l’humanité ».
1 Voir le préambule du Rapport spécial du GIEC sur « L’océan, la cryosphère et les changements climatiques », 25 septembre 2019, voir le préambule.
2 Rapport « Changement climatique : impacts, adaptation et vulnérabilité » (Volume 2 du 6ème rapport d’évaluation du GIEC), 28 février 2022
3 Voir le communiqué de presse du 28 février 2022.
4 Sciences et Avenir – La Recherche n°900, février 2022
5 « Les engagements de Brest pour l’Océan ».
6 Loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de de la résilience face à ses effets.
7 Greenpeace ; Association Bloom contre la destruction de l’océan et des pêcheurs ; France Nature Environnement ; WWF
8 Source : https://parc-marin-golfe-lion.fr/editorial/creer-des-zones-de-protection-forte
9 Voir La lettre du Cabinet d’août 2021 – Récentes illustrations du droit climatique.
10 CE, 15 novembre 2021, n°437613.
11 Articles 11 et 12 de la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.
12 Eudes Riblier, Président de l’Institut français de la mer, La Revue Maritime n°515, Novembre 2019, La Revue Maritime n°520, Juillet 2021.