LETTRE DU CABINET – OCTOBRE 2020

LETTRE DU CABINET – OCTOBRE 2020

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Non classé, Publications internes 29 Oct 2020

De la remise à plat des règles relatives à la contestation des actes de « Droit souple »
Commentaire de la décision CE, 12/06/2020, section, n°418142, GISTI

Une décision administrative est susceptible de recours contentieux à partir du moment où il est démontré qu’elle fait grief aux intérêts du requérant.

En revanche, les décisions administratives suivantes ne font en principe pas grief :
– Les mesures d’ordre intérieur, c’est-à-dire les décisions prises pour l’organisation interne d’une administration, comme par exemple un changement d’affectation ne modifiant pas la situation du fonctionnaire.
– Toutes sortes d’actes et documents considérés comme étant du « Droit souple » : Avis, circulaires, appréciations, instructions, recommandations, lignes directrices, orientations générales, notes, présentations, etc…

Ces 20 dernières années, le juge administratif a construit une jurisprudence permettant, sous certaines conditions, de contester certains des éléments appartenant au « Droit souple ».

Dans une décision de section n°418142 en date du 12 juin 2020, le Conseil d’Etat a mis à plat les règles relatives à la contestation de ces actes de « Droit souple » en effectuant une subtile synthèse des décisions rendues en la matière.

Premièrement, dans son considérant 1, la haute juridiction administrative vient apporter une qualification juridique claire et plus rigoureuse que le concept de « Droit souple » pour englober tous ces actes et documents : « Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques ».

Il est rappelé que ces documents peuvent être « matérialisés ou non », dans la mesure où les paroles d’un représentant d’une autorité publique peuvent constituer un acte administratif, comme par exemple la déclaration d’un premier ministre affirmant qu’une loi ne serait pas appliquée sauf localement et à titre expérimental (CE, 15/03/2017, n°391654).

La décision sus évoquée cite les principaux actes qui constituent ces « documents de portée générale émanant d’autorités publiques », à savoir « les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations » pour évoquer un concept plus englobant afin d’éviter une définition exhaustive en énonçant « ou interprétations du droit positif ».

Deuxièmement, toujours au considérant 1, le Conseil d’Etat décline dans quelle mesure sont recevables les recours en excès de pouvoir contre les documents précités, c’est-à-dire « lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. »

Le Conseil d’Etat a ajouté, en exigeant que les effets soient « notables », une condition de gravité. L’existence de cette première condition sera donc appréciée par le juge administratif au cas par cas.

Cette condition n’est pas nouvelle car directement empruntée d’une décision rendue en formation d’assemblée par le Conseil d’Etat en 2016 (CE, Assemblée, 21/03/2016, n°368082, Sté Fairvesta International Gmbh).

Dans un souci de pédagogie, le Conseil d’Etat donne deux exemples, ne constituant pas une liste exhaustive, lesquels renvoient directement à la jurisprudence jusque-là établie : « Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. »

Troisièmement, au considérant 2, la haute juridiction administrative construit une grille de lecture pour apprécier quels vices peuvent affecter la légalité de ces documents : « Il appartient au juge d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane ».

Le raisonnement adopté est évoqué dans la même décision rendue en formation d’assemblée par le Conseil d’Etat en 2016.
Le Conseil d’Etat complète son analyse pour encadrer la possibilité du recours en indiquant qu’il peut être accueilli :
– « [si le document] fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence,
– si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée,

Ces deux exemples font expressément référence à la décision n°233618 de 2002 du Conseil d’Etat (CE, section, 18/12/2002, n°233618, Mme Duvignères)

ou s’il est pris en vue de la mise en oeuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure »

Là encore, cet exemple est une importation, néanmoins enrichie, de la décision précitée laquelle énonçait « l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter […] réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ». En effet, cette nouvelle décision du Conseil d’Etat ne se limite pas à englober les interprétations réitérant une règle contraire à une norme supérieure mais plus largement tout document de portée générale « pris en vue de la mise en oeuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure ».

Enfin, l’utilisation du « notamment » indique que cette liste n’est pas exhaustive, ce qui rejoint l’esprit de la décision précitée n°233618 de 2002 du Conseil d’Etat qui mentionnait également que le recours peut être accueilli s’il « est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ».

Bien que la jurisprudence ancienne soit toujours applicable, le Conseil d’Etat, par cette décision du 12 juin 2020 simplifie et clarifie le régime des règles relatives à la contestation des actes de « Droit souple ».