LETTRE DU CABINET – FÉVRIER 2016

LETTRE DU CABINET – FÉVRIER 2016

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 24 Fév 2016

Vers la codification du préjudice écologique ?

 

Construction éminemment prétorienne, la notion de préjudice écologique s’apprête à faire son entrée au sein du Code civil récemment impacté par la réforme du droit des obligations[1].

Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, adopté en 1er lecture au Sénat, propose de compléter le Code civil par un titre particulièrement éloquent (« De la responsabilité du fait des atteintes à l’environnement ») composé, notamment, de l’article 1386-19 disposant que : « Toute personne qui cause un dommage grave et durable à l’environnement est tenue de le réparer ».

Avant d’être consacré en 2012 par la Cour de cassation dans l’affaire du naufrage de l’Erika[2], le principe de l’indemnisation d’un préjudice environnemental subi par le milieu naturel avait déjà été admis, notamment dans un jugement obtenu par notre cabinet dès 2007[3] mentionné sous les articles L. 132-1 du Code de l’environnement et L. 5122-26 du Code des transports (éd. Dalloz).

Au-delà de l’intérêt d’inscrire le préjudice environnemental dans le Code civil pour dépasser l’obstacle de la preuve du caractère subjectif et personnel de ce type de préjudice pouvant être considéré par certains comme étant objectif et collectif, le projet de loi suscite l’interrogation.

En effet, si le premier alinéa de l’article 1386-20 prévoit que le préjudice environnemental doit, en priorité, être réparer en nature, le second alinéa de l’article précité limite les personnes potentiellement bénéficiaires d’une compensation financière dans l’hypothèse où la réparation en nature ne serait pas possible.

Ainsi, selon la mouture actuelle du projet de loi, seul « l’Etat, ou un organisme désigné par lui et affecté (…) à la protection de l’environnement », seraient en droit d’obtenir une compensation financière.

Cette version du texte pourrait donc, selon la lecture qu’en fera le juge, soit priver les entités non visées par l’article 1386-20 d’une indemnisation du préjudice écologique, soit créer un double degré d’indemnisation du préjudice écologique, le premier permettant à l’Etat, ou les organismes désignés par lui et affecté à la protection de l’environnement, d’obtenir réparation sur le fondement de l’article 1386-20, le second, permettant aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés, notamment, d’obtenir réparation sur le fondement de l’article 1382 en application de la jurisprudence Erika.

[1] Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (JO, n° 35, 11 févr. 2016, n° 26).

[2] Cass. Crim. 25 sept. 2012, n° 10-82.938.

[3] TGI Narbonne, 4 oct. 2007, n° 935-07 ; AJDA 2007, p. 2011.