LETTRE DU CABINET – JANVIER 2016
Vers la fin de la jurisprudence Commune du Lavandou ?
Initialement pensée comme une loi d’aménagement, la loi Littoral du 3 janvier 1986 devait, sous l’influence des principes naissants du développement durable, conjuguer les attentes contradictoires d’une gestion équilibrée des territoires entre le développement économique et la nécessaire protection d’un patrimoine riche et fragile.
Le contrôle juridictionnel de la mise en œuvre de la loi Littoral a pu être dénoncée, par certains, comme étant « une application juridictionnelle biaisée »[1] en ce que celle-ci serait davantage orientée vers la protection des espaces que vers le développement équilibré des territoires[2].
La récente recodification du code de l’urbanisme[3], qui a notamment conduit à refondre les dispositions applicables au territoire des communes littorales, invite à s’interroger sur la pérennité de certaines interprétations des dispositions particulières au littoral.
Originellement prévues aux articles L. 146-1 et suivants du code de l’urbanisme, les dispositions relatives aux zones littorales sont aujourd’hui codifiées aux articles L. 121-1 à L. 121-51 du même code.
Bien que la recodification soit présentée comme une recodification à droit constant, la mise en œuvre du découpage des articles selon le principe « une idée, un article » pourrait permettre d’envisager une nouvelle lecture des dispositions de l’ancien article L. 146-4 du code de l’urbanisme relatif aux mécanismes d’urbanisation des zones littorales.
Pour rappel, le I- de l’article L. 146-4 précité posait le principe de l’extension de l’urbanisation en continuité des agglomérations et villages existants, alors que le II– du même article envisageait le principe de l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage.
L’application combinée de ces dispositions avait conduit le Conseil d’Etat à consacrer, par sa décision Commune du Lavandou, le principe selon lequel le I– de l’article L. 146-4 était applicable « à tout terrain situé sur le territoire d’une commune littoral, que ce terrain soit ou non situé à proximité du rivage »[4], y compris dans la bande de cent mètres[5]. Sans même invoquer les travaux préparatoires de la loi Littoral, la haute juridiction décidait d’appliquer le principe d’urbanisation en continuité à l’ensemble du territoire communal, quand bien même le texte ne le prévoyait pas expressément.
Ainsi, sous l’empire de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme, l’extension de l’urbanisation des espaces proches du rivage doit être à la fois limitée (en application du II– de l’article L. 146-4 C. Urb.) et réalisée en continuité des agglomérations et villages existants (en application du I– du même article).
Les changements induits par la recodification pourraient inviter à repenser le principe découlant de la jurisprudence Commune du Lavandou.
En effet, alors que l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme regroupait à la fois le principe d’extension de l’urbanisation en continuité des agglomérations existantes et le principe de l’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage, la nouvelle architecture du code sépare ces deux principes.
Dorénavant, les principes d’extension de l’urbanisation en continuité des agglomérations existantes et d’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage font l’objet de deux paragraphes bien distincts, respectivement Paragraphe 1 (L. 121-8 C. Urb.) et Paragraphe 2 (L. 121- 13 C. Urb.) de la sous-section 2 des dispositions générales relatives à l’aménagement et la protection du littoral.
Ce constat invite logiquement à penser que l’application combinée des deux principes tirés des I– et II– de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ne serait plus opérant.
Cependant malgré ce redécoupage, il est permis de douter d’un abandon de la jurisprudence Commune du Lavandou dès lors que l’ordonnance procédant à la recodification a pris le soin de donner au paragraphe relatif au principe d’urbanisation en continuité des zones urbanisées existantes un intitulé particulièrement éloquent : « Extension de l’urbanisation en continuité des zones urbanisées sur l’ensemble du territoire communal ».
Dans ces conditions, il existe une forte probabilité que le juge administratif maintienne la jurisprudence Commune du Lavandou en se limitant à renvoyer à l’intitulé du paragraphe en cause bien que l’article L. 121-13 du code l’urbanisme semble instituer un mécanisme d’urbanisation dérogatoire propre aux espaces proches du rivage (devant être, au surplus, justifié et motivé par le document d’urbanisme), bien que l’article L. 121-8 du même code ne prévoit pas textuellement son applicabilité à l’ensemble du territoire communal et bien qu’il soit possible de douter de la portée normative de l’intitulé du paragraphe en cause [6].
Plus largement, ces éléments de réflexions conduisent également à s’interroger sur les mécanismes de mise en œuvre de la loi Littoral permettant de se conformer au principe de l’article 6 de la Charte de l’environnement selon lequel « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ».
A ce titre il est possible de souligner les recommandations soulevées par Mme Odette HERVIAUX et M. Jean BIZET pour améliorer l’application de la loi Littoral sans en affaiblir le dispositif[7], recommandations dont certaines sont déjà mises en œuvre[8].
[1] Jacques Le Guen, Rapport d’information sur l’application de la loi Littoral, n°1740, 21 juillet 2004 Assemblée Nationale, p. 60.
[2] Odette HERVIAUX, Jean BIZET, Rapport d’information sur la loi Littoral, n° 297, 21 janvier 2014, Sénat, p. 59.
[3] Ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015
[4] CE, 27 septembre 2006, Commune du Lavandou, n° 275924 ; voir également CE, 10 janv. 2001, Blanc, n° 211459.
[5] CE, 26 janvier 2005, Préfet de Corse du sud, n° 260188 ; CAA Lyon, 21 décembre 2004, Préfet de Haute-Savoie, AJDA 28 mars 2005, n° 12, p. 687
[6] Voir en ce sens :
- « Absence de valeur normative du titre d’un décret», F. Brunet, comm. sous CE, 7 oct. 2015, n° 386436, AJDA 2015, p. 2212 ;
- « les différences relevées entre l’intitulé et le texte même du décret n’influent ni sur le sens ni sur la portée dudit décret » (CE 3 janv. 1968, Caisse professionnelle de prévoyance des teinturiers et blanchisseurs de France, n° 65238) ;
- « le titre d’une loi ou d’un chapitre d’un code n’a pas a priori de portée normative », Ch. Maugüé, conseiller d’Etat, pour le compte de l’ARCEP,Etude relative aux modalités juridiques de cession et de mise à disposition des autorisations d’utilisation de fréquences de la boucle locale radio, janv. 2007, p. 3. Disponible en ligne : http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/etd-march-second-frqc-janv07.pdf
[7] Odette HERVIAUX, Jean BIZET, Rapport d’information sur la loi Littoral, n° 297, 21 janvier 2014, « Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines », Sénat, 114 p.
[8] Voir par exemple, la mise en place d’un réseau « Littoral et urbanisme » annoncé le 7 décembre 2015 par Mme Sylvia Pinel, Ministre du Logement, tendant à mutualiser les expériences et adopter une doctrine administrative harmonisée.